629 - Dieu et César

 Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Edito du dimanche 22 octobre 2023

Dans l’Évangile de ce dimanche, c’est un piège qui est tendu à Jésus par une coalition pour le moins surprenante : les pharisiens et les hérodiens sont les pires ennemis mais ils se mettent d’accord pour piéger Jésus. La réponse qu’ils obtiennent est devenue célèbre : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». On a souvent fait de ce verset une justification de la stricte séparation des pouvoirs temporel et spirituel : chacun son camp, comme si notre foi en Jésus-Christ était un monde à part sans aucun lien avec la vie de ce monde. Or nous croyons au Verbe fait chair : dès lors, rien de ce qui touche à l’homme n'est étranger à Dieu. Dès lors, le politique et le religieux sont toujours mêlés d’une certaine manière.

En revanche, ce que Jésus dénonce par ces mots, me semble-t-il, c’est l’utilisation de Dieu comme prétexte à nos choix politiques et pire encore, notre idolâtrie du politique. Nous avons le fâcheux réflexe de faire de César un dieu… L’actualité géopolitique en est une cruelle illustration : le drame absolu qui ensanglante Israël et la Palestine depuis deux semaines semble n’avoir aucune limite. Car dès lors qu’une terre est revendiquée au nom de Dieu, dès lors que le rapport au territoire est « idolâtré », aucun dialogue, aucun compromis ne semble plus possible.

Les crimes commis par le Hamas contre des civils israéliens sont à dénoncer sans la moindre réserve. Mais comme l’écrit Mgr Jean Paul Vesco, évêque d’Alger : « La violence du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause ». L’humiliation subie par les palestiniens depuis des décennies ne peut qu’engendrer la violence. Or, ces dernières années, qui s’est soucié des vexations continuelles, des exécutions sommaires quotidiennes, de la colonisation sauvage au mépris du droit international et des multiples résolutions de l’ONU jamais appliquées ?

Nous sommes nous aussi souvent sommés de nous prononcer comme ce fut le cas pour Jésus : « oui ou non ? Choisis ton camp ! ». Or la situation n’est pas aussi binaire qu’on nous le dit – d’un côté les bons, de l’autre les mauvais – et elle est bien plus machiavélique qu’on ne le pense : le mal se cache dans tous les camps et parfois de manière odieusement manipulatrice. Non, le Hamas n’est pas la voix du peuple Palestinien ! Non, le gouvernement Netanyahou ne représente pas l’opinion de tous les israéliens et il est insupportable de voir des populations civiles se faire massacrer au nom de je ne sais quel droit de riposte. En bonne théologie morale chrétienne, il est un principe fondateur : « La fin ne justifie pas les moyens ». Autrement dit, ce n’est pas parce que l’objectif visé est louable que l’on peut faire n’importe quoi pour l’atteindre. La lutte contre le terrorisme - fin bonne en soi - ne justifie pas n’importe quel moyen pour y parvenir et notamment l’extermination d’une population civile. Et encore faudrait-il prouver que la véritable intention du gouvernement Netanyahou est la lutte contre le terrorisme… Il bénéficie pourtant de la bienveillance de la plupart des grandes puissances de ce monde.

Si nous savons ce que signifie « Rendre à César ce qui est à César » puisque l’image de César figure sur la pièce de monnaie, nous pourrions alors nous demander ce qu’il faut rendre à Dieu : où est l’image de Dieu ? Depuis les premières pages de la Bible, nous le savons, l’homme a été « créé à l’image de Dieu ». C’est au fond du cœur de l’homme qu’est imprimée l’image indélébile de Dieu. Voilà ce qu’il nous faut crier haut et fort face à tous les violents qui massacrent les innocents et bafouent la dignité de l’homme : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ; rendez l’homme à Dieu ! ». Un jour, nous aurons à rendre des comptes et à répondre de nos actes : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Père Pierre-Alain Lejeune

 

 

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